Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Talking Timbuktu
15 décembre 2008

Jour 11: La fracture digitale

Certains préfèrent le laisser tranquillement à la maison, d'autres ne peuvent s'empêcher de le prendre dans la poche, et j'en connais qui aiment bien s'en mettre un p'tit coup au bureau lorsque les collègues ont le dos tourné.

L'internet a pris dans nos vies une part significative. Et pourtant, on tend à oublier que ce n'est pas une vérité universelle et qu'il existe des régions où...

On se lève le matin avec l'envie atroce de faire un petit compte-rendu, histoire de pas perdre le rythme. Le cas contraire provocant l'ire titanesque de mon patron, il y a des habitudes qu'il vaut mieux ne pas perdre (c'est pour la romance, mais pas que...). A la fraîche, je me fends de mon rapport, le stocke sur mon petit disque dur. La première partie est faite, reste à trouver comment faire parvenir le précieux '.zip' à mon supérieur. En matière de communication, les solutions ne manquent pas: le tam-tam, le pigeon voyageur, l'âne expéditif (c'est la version malienne du Pony Express), le courrier papier, le fax ou encore le courrier électronique. C'est là que le bas blesse, la technologie aidant on tend à éliminer l'ensemble des solutions pour n'en retenir qu'une: la plus moderne. Y'en a qui appelle ça le progrès...

Avec la prestance d'un Bertrand Blier au milieu d'une célébrissime cuisine, je me lève et clame: 'C'est où?!?'

Mon collègue malien me répond que les accès internet sont rares, mais que les locaux qui me servent de bureau en est pourvu. Pas d'optimisme démesuré, comme disait ce grand stratège anglais: wait & see.

----

Petit élément de paysage: Je réside à Niafunké, à 190 kilomètres au Sud Ouest de Tombouctou. Niafunké n'est plus un village, mais encore un pôle urbain. Je pense que le terme à proprement parler est bourgade. Agréable bourgade, patrie du célèbre Ali Farka Touré, sur les berges du fleuve Niger entre brousse et désert, encore au Mali mais presque en Mauritanie.

--

Les services publiques et privés de télécommunication au Mali ont su proposer des produits adaptés à leur clientèle. Qu'il s'agisse de la téléphonie mobile ou désormais de l'internet, tout fonctionne sur le principe des cartes prépayées. De l'autre côté de la Méditerrannée on a presque oublié ce que c'était, la grande époque des Mobicartes, Nomad et La Carte (ah, ça existe encore?). Pour ceux qui ont la mémoire courte, le concept consiste à gratter une petite carte, y découvrir un code, composer le dit code et jouir des minutes ainsi créditées. Rien de plus simple. Et dans le cas présent adapté à une grande frange de la population, surtout pour la téléphonie où le coût des communications restent raisonnables.

L'innovation étant que depuis peu, il est possible de créditer un compte pour accéder à internet selon le même principe de carte prépayée. A la différence du mobile, il faut disposer d'une ligne téléphonique, d'un téléphone, et d'un ordinateur... Fort heureusement, au bureau nous disposons de tout cela, sauf du crédit...

Début du feuilleton: Il est 8h...

Nous sommes dimanche, et les commerces ne sont pas tous ouverts. C'est sans compter sur la disponibilité du chef d'agence vendeuse des précieuses cartes prépayées. Ni une, ni deux, nous sonnons chez lui. Pas surpris car nous avions eu l'amabilité de nous annoncer, il nous conduit à son bureau. Après avoir traversé la ville d'un bout à l'autre (c'est juste pour l'effet de style), nous arrivons au bureau à la sortie de la ville. Hélas pour nous, le gardien-maître des clés est absent, il conduit sa femme au marché. Les bureaux sont donc fermés, nous repasserons. Damned!

Une petite heure plus tard, nous repassons chez lui en voiture, direction le bureau. Le gardien est revenu du marché, les portes s'ouvrent. Mon chef d'agence prend place à son bureau, en sort un petit coffre duquel il extrait des cartes prépayées... téléphoniques. Les cartes internet sont en rupture de stock. C'est aussi ça le service public, beaucoup d'énergie (parfois), de la disponibilité à revendre (souvent), mais bien peu de moyens. Sans rancune.

C'est dans ces situations là qu'on est toujours content d'avoir un plan B. On m'avait dit qu'un entrepreneur local disposait d'une connexion correcte. Ni une ni deux, je m'en vais lui rendre visite. D'instinct, à peine franchi le pas de la porte, j'ai senti que ça n'allait pas être possible. Il était en plein boulot, du monde dans son bureau et dehors, ni le bon moment, ni le bon endroit. Damned!

Sortant du bureau, et réfléchissant à un plan C (de plus en plus difficile). Je croise un motard qui était il y a quelques minutes dans le bureau du fameux entrepreneur. Il me demande de le suivre, il va voir si 'ça marche au bureau'. Ah? Voyons. Mon collègue l'appelant M. Le Secrétaire Général j'ai quelque idée sur la fonction du Monsieur que nous suivons de loin grâce au nuage de poussière soulevé par sa petite moto. Fin de trajet: la mairie. Ma méconnaissance des collectivités françaises fait que je n'ai pas envie de me mouiller, mais je ne suis pas sûr qu'il existe un Secrétaire Général de la Mairie de ... Nous dirons un adjoint, ou le chef du cabinet. Son bureau étant juxtaposé à celui du maire, M. Le Secrétaire Général  est quelqu'un d'important dans la commune, et m'ouvre son bureau et allume son ordinateur. Le service public, proche des gens et toujours disponible, c'est juste beau.

Sous le petit drap qui protège les appareils électroniques du sable (oui, j'ai oublié ce détail, c'est plutôt sablonneux comme région),  je découvre un AchePé. Petit Pentium IV, qui fait pas trop le malin mais qui rend de bons services. Bien entretenu itou. M. Le Secrétaire Général me laisse à mes affaires, seul dans son bureau. Au bout de quelques secondes apparaissent les 6 lettres universelles du XXIè siècle  G-O-O-G-L-E. Un sourire niais s'accroche à mon visage. Je pèse le poids des habitudes. Ces 6 lettres me rappellent  à quel point nous nous enfonçons dans des habitudes dématérialisées et déshumanisées, où la communication du futur consiste à rentrer un login et un mot de passe pour savoir si TrucMuche a dormi dans son vomi lors de la dernière soirée, pour vivre par procuration  les vacances du Duchmolle au Tadjikistan, pour écouter de la musique qui ne serait jamais sortie d'une cave si les portails ne proposaient pas à n'importe qui de faire n'importe quoi. Génération Facebook. Et je retrouve donc Google et son système de messagerie.

Un petit courrier synthètique, une pièce jointe, il ne reste plus qu'à prendre le mulot et cliquer sur 'envoyer' lorsque... Blackout! Coupure d'électricité. Parfois le service publique, même plus d'énergie malgré la bonne volonté. Reste plus qu'à attendre. Je sors avec mon sourire de vainqueur du bureau, j'attends au soleil.

L'électricité revient, je me perds en compliments et amabilité envers le AchePé afin que même si c'est indépendant de sa volonté il ne me fasse pas faux bond. Et ensemble, nous l'avons fait. Nous avons envoyé ce rapport, il est 14h...

Fin du feuilleton: Il est 14h...

Epilogue:

Cet épisode amène une petite réflexion sur l'accès la grande toile et ce fossé qui sépare ceux qui ont les pieds dedans même s'ils le refusent et ceux qui sont obligé de sauter dans le train en marche.

C'est en repassant à Tombouctou, que j'ai pris conscience de l'importance des programmes de développement et de la présence d'une communauté expatriée. Bien entendu, ils sont là pour une chose, l'appui au développement, le soutien des initiatives locales. Mais au-delà de la technique et des financements, ils amènent avec eux tout ce qu'ils laissent dans leur pays d'origine et notamment certaines habitudes 'technologiques'. Quoi de plus normal que d'envoyer des nouvelles par mail à la famille et les rapports au patron, encore faut-il disposer d'une connexion décente. Je crois que de par leur présence, ils ont peut être contribué à accélerer un peu le déploiement des technologies de communication en faisant apparaître ces outils comme indispensables non seulement à leur activité professionnelle, mais aussi et surtout à leur bien être personnel. Cela est vraiment pour les villes où les communautés expatriées sont importantes, et je pense que dans le coin ils ont un poids non négligeable.

-----

Bande Son: Eric Clapton - Sunshine of your love

Barbe: 5 jours, négligée mais juste ce qu'il faut

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Talking Timbuktu
Publicité